Les Violences conjugales

Colloque droit de la famille organisé en 2006 par l'Association de Juristes en Polynésie française

Atelier : violences conjugales - Partie QUESTIONS-REPONSES

«Violences conjugales» - (Formation et réflexion) - Loi du 4 avril 2006 – loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. – La politique pénale locale en matière de violence conjugale.
Questions de la salle et réponses de :
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- M. Franck ZIENTARA,
Vice-procureur de la République à Papeete
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- Dr Farhan YAZDANI,
Chirurgien, expert près de la cour d'appel et membre de Droit et Ethique de la Santé,
Unité Fonctionnel des Hospices Civils de Lyon de 1990 à 2002.

Le nouveau dispositif

Franck ZIENTARA :
Pour répondre à la question : « est-ce que ça marche ou est-ce que ça ne marche pas ce dispositif qui a été mis en place ? » D’abord je pense que les magistrats d’une manière générale, et les procureurs en particulier, doivent être des gens incorrigiblement optimistes parce que, autrement, on serait totalement désespéré pas seulement face à la violence conjugale, mais sur l’ensemble des infractions où il y a malheureusement des cas de récidive qui sont consubstantiels à la nature humaine. Donc, est-ce que ça marche, est-ce qu’il y a des récidives ? Je crois que la matière de la violence conjugale, en particulier, nécessite un rappel à la loi, quel qu’il soit, qu’il soit un rappel par OPJ, un rappel juridictionnel ou autre chose et je pense que, dans la majorité des cas, il n’y a pas ou peu de réitération. Sur les dispositions nouvelles de la loi d’avril 2006, il est difficile, en l’état, de faire un bilan, vu que ce sont des dispositions qui sont extrêmement récentes. Le 15 juin 2006, le tribunal correctionnel prononçait pour la première fois les mesures de l’éloignement. Il y en a peu, depuis, qui sont prononcées. Peut-être qu’on aurait besoin sans doute d’un lieu d’accueil des hommes battants. Il existe un certain nombre de foyers dans lesquels les personnes vont, mais qui ne sont pas tellement adaptés à cette situation là. Ceci étant, on en est encore à essayer de voir si ces besoins sont nécessaires. Je pense que dans l’avenir il faut être optimiste et aller de l’avant sur ce point. Je crois qu’on arrivera à faire avancer les choses sur cette question des violences conjugales.

Viol entre époux

Question posée par Mme Tina CROSS.
Ma question va porter plus précisément sur la consécration du viol conjugal au regard de l’article 222-22 où il est bien dit que les rapports sexuels entre époux sont présumés consentants et que malgré tout l’époux pouvait déposer plainte pour viol. Je voulais vous poser la question en tant que praticien des demandes que vous recevez au Parquet de Papeete : Sur quel genre de preuve vous vous appuyez pour saisir l’opportunité de poursuivre l’époux qui aurait imposé des rapports sexuels à son conjoint marié parce que c’est vrai que c’est tout nouveau et, en plus, ici en Polynésie, cela a choqué les gens ? En tant que ministre de la famille, je voudrais vous poser la question, vous qui recevez des plaintes, en matière de preuve, qu’est ce que c’est… (autre personne couvrant la voix)… ces certificats médicaux avec des blessures violentes ou est-ce que ça rejoint un peu plus des violences d’ordre psychologiques ?

Réponse de Franck ZIENTARA :
Je vais répondre, à tout seigneur tout honneur, à la question de Madame le Ministre sur la question du viol. Effectivement, c’est récent en ce sens que la consécration légale est récente. Mais, comme je le disais tout à l’heure, le viol entre époux a été reconnu par la jurisprudence depuis 1980 et surtout depuis 1992. Depuis 1992 la chambre criminelle de la Cour de Cassation reconnaît l’existence du viol entre époux sans autre blessure ou violences, comme dans les cas précédents dont je vous parlais. Effectivement, il y a une présomption de consentement entre deux époux unis par les liens du mariage à la relation sexuelle et toute la difficulté de cette infraction c’est justement la preuve de ce qu’il y a eu effectivement viol. Alors comment on fait dans ces cas là ? Tous les modes de preuve qui sont à la disposition du juge et de l’enquêteur même dans des infractions autres que le viol sont utilisables. C’est le cas des prélèvements : le mari dit : « Je n’ai pas eu de relations ce jour là » et les prélèvements démontrent le contraire. Ca peut être aussi des témoignages qui sont liés à la famille, ça peut aussi être un examen médical où on verra que la victime est dépendante psychologiquement et subit des conséquences psychologiques graves. Pour ne rien vous cacher, ces faits de viol entre époux, en tout cas les plaintes, sont extrêmement rares. J’ai en mémoire un dossier qui est en cours sur ce type de faits . Bien évidemment le conjoint nie les faits et l’entourage familial peut nous éclairer sur le comportement du mari par rapport à sa femme, sur des révélations, sur des confidences qu’elle a pu faire, sur l’audition des enfants qui ont pu assister aux faits ; c’est donc toute la difficulté de ce type d’infraction. Est-ce que ça va déboucher sur des condamnations ? Sans doute, mais ces infractions ne sont pas évidentes à démontrer. Les expertises psychiatriques vont également rentrer en ligne de compte ainsi que d’autres éléments qui vont forger la conviction du juge. C’est vrai, d’une manière générale, pour les autres agressions sexuelles. Ce n’est pas évident lorsque c’est à huis clos, lorsqu’il y a une agression sexuelle entre un homme et une autre personne, fusse-t-elle un tiers par rapport à lui et non pas sa femme, c’est aussi délicat de démontrer la réalité de cette infraction. Avec ce point particulier que les gens vivent ensemble et que les relations sexuelles sont présumées consenties. Ca se passe dans un lieu clos et vous avez la parole de l’un contre la parole de l’autre, c’est aussi difficile que pour les cas de viol conjugal. Donc il va falloir effectivement l’audition, les confrontations, des examens médicaux, des déclarations de psychiatre, etc …

Harcèlement moral

Franck ZIENTARA répond à une question sur le harcèlement moral

Le harcèlement moral stricto sensu tel qu’il apparaît dans le Code pénal, est réprimé par la loi de janvier 2002 qui n’est pas applicable en Polynésie française. Le texte vise le harcèlement moral qui est lié aux relations de travail. Le harcèlement qui serait dans le cadre d’un couple, qui entraîne un préjudice psychologique très important, peut être considéré comme une violence, mais il y a toujours ce problème de preuve. Si on a un certificat médical attestant de ce que Madame Une telle est dans un état psychologique grave et qu’il s’est avéré que cela relevait d’une ITT et qu’on peut relier cela à un comportement de la part de son mari extrêmement véhément à son égard avec une intention justement d’entraîner ce type d’attitude, alors effectivement, on peut éventuellement poursuivre pour violences, avec ou sans ITT, en fonction de ce qu’aura ou non quantifié le médecin. Mais je ne vais pas vous cacher que c’est extrêmement difficile à prouver.
La claque, même si ce n’est qu’une claque, des fois laisse parfois une trace, et un médecin peut la constater, il voit qu’il y a la trace sur la joue, on peut faire éventuellement une photographie. Ce type de faits est plus facilement appréhendable par le juge et par le procureur. La matérialité des faits est plus claire. Le lien entre une dépression et un comportement volontaire de la part du mari est quand même beaucoup plus ténu, et c’est la raison pour laquelle la preuve est relativement difficile à apporter et il y a peu de poursuites et pas de condamnation. Mais si, dans un cas particulier, on arrive à démontrer qu’il y a une attitude du mari telle qu’elle a entraîné un trouble psychologique extrêmement important, constaté médicalement, je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas de condamnation prononcée par la juridiction. Ainsi, constitue une violence, par exemple, le fait de lever vers quelqu’un un objet sans le jeter ni toucher la personne Si la victime a peur et tombe de la fenêtre, et décède, c’est un coup mortel en jurisprudence. Donc, en fait, la violence est un sujet relativement vaste. Tout le problème pour aboutir à une condamnation est le problème de la preuve.

La plainte

Question sur les sanctions par Sabrina Birk
"parce qu’il faut savoir que la peine de prison est très difficile à accepter en couple. Avez-vous réfléchi sur d’autres peines que la peine de prison et comment elles peuvent être respectées ? Parce que je vais vous dire ce que je connais. Effectivement, vous abordez le sujet de la plainte. J’ai déposé plainte en juin et mon affaire n’est toujours pas jugée. Je suis la victime, je devais passer au tribunal le 4 octobre et ça a été repoussé au mois de février. Entre l’audience et la décision, on ne peut pas rentrer chez soi parce qu’on a peur et qu’une décision de justice n’a pas été prise. La décision de justice est souvent trop longue à attendre et entre temps des choses peuvent se passer. C’est une lacune de votre part."

Autre chose : Vous avez mis en place des séminaires pour des problèmes de la route notamment pour les gens qui conduisaient mal. Vous pourriez peut-être mettre en place des séminaires pour les violences conjugales, c’est-à-dire des séminaires à l’université pour les agresseurs et les victimes où ils pourraient apprendre à mieux vivre ensemble et, également, que les agresseurs se retrouvent entre eux et apprennent à sortir de ces actes, pouvoir lui offrir un nouveau logement, parce que la difficulté de ces plaintes, c’est cette peur de la prison, surtout quant on connaît Nuutania. Ce n’est vraiment pas quelque chose qui soigne ...
Peut-on porter plainte ailleurs qu’à la gendarmerie ? Parce que, là aussi, on a du mal à aller porter plainte à la gendarmerie. Quand j’ai porté plainte en juin, l’agresseur était dans la salle à côté, j’avais la trouille. C’est effrayant pour la victime. La gendarmerie n’a pas la sensibilité vis-à-vis des violences conjugales et on se demande si on ne pourrait pas porter plainte ailleurs qu’à la gendarmerie ?

Franck ZIENTARA, répond d’abord à la dernière question :
Effectivement on a des services enquêteurs en police et en gendarmerie qui peuvent recueillir les plaintes. Vous avez la également la possibilité d’écrire au procureur de la République, mais cela reviendra finalement au même parce que la victime sera entendue par un officier de police judiciaire, de même que l’auteur, qu’une enquête devra être diligentée soit auprès des services de police, soit auprès des services de gendarmerie, qui sont sensibilisés à la question des violences conjugales, et qui essaient aussi de réfléchir sur l’accueil des victimes. Je ne pense pas qu’il faille stigmatiser un service par rapport à un autre. Il y a des enquêteurs différents qui ont une attitude différente avec les victimes. Je crois que c’est quelque chose qui est lent et qui doit rentrer dans les mœurs mais, à chaque fois qu’il y a des réunions avec les gendarmes et les policiers, on insiste sur l’accueil des victimes, sur le fait qu’il faut les mettre en confiance, séparer agresseur et agressé ; donc ça fait partie du B-A-BA. Je crois que les services de police et de gendarmerie commencent à prendre cela en main. Mais , on ne peut pas faire l’économie d’une enquête. On est obligé de rassembler un certain nombre d’éléments pour démontrer la réalité de l’infraction. Ca c’est le premier point.

Le deuxième point, sur votre situation : Les faits se sont passés en juin et l’audience est prévue en octobre. Juin octobre c’est la date de la COPJ, donc c’est relativement court mais on ne peut pas moins. En effet, actuellement, au tribunal, compte tenu de la charge des audiences, l’audiencement des affaires se fait avec un délai de 8 mois en moyenne. On a une charge au niveau du tribunal correctionnel et on a un problème au niveau des audiences. On essaie de notifier une COPJ aux dates d’audience qui sont disponibles. Les juges ne peuvent pas non plus siéger de 8 heures du matin jusqu’à 21 heures. En ce qui concerne votre dossier, il y a eu un problème d’ordre administratif qui a justifié le renvoi et à cet égard plusieurs dossiers de cette audience ont été renvoyés, je le déplore mais c’est ainsi. Mais ce n’est pas le cas de la majorité des dossiers.

Enfin, Sur les stages, c’est effectivement quelque chose qui pourrait être mis en place. C’est une bonne idée et qu’il faut creuser en tout cas.
Réponse de M. Farhan YAZDANI.
Vue par un médecin, une procédure réussie est une procédure qui n’aboutit pas à un procès. Je veux dire que si un médecin fait intervenir la justice, il serait souhaitable qu'il suffise au magistrat de froncer les sourcils pour que les contrevenants retrouvent le droit chemin. Je pense qu’il y a un effet régulateur ou préventif dans la présence même de la police et de la justice. Comme pour la prévention routière, on pourrait inventer le permis de mariage à points; ce serait peut-être une idée à creuser sérieusement. Il n’y a aucune raison de laisser les gens s’imaginer qu'en passant devant le maire, tout devient possible dans une liberté totale. Il faut peut-être, plutôt que de créer des foyers pour les femmes battues, créer des foyers pour éloigner les hommes agressifs; sérieusement, ce n’est pas une plaisanterie ni une boutade. Pourquoi enlèverait-on la femme et les enfants d’une maison pour que le mari violent puisse y vivre ? On peut concevoir plutôt son éviction hors de la maison, c'est à dire, éloigner le mari violent de la maison pendant quelques mois en le plaçant dans un foyer où il aurait des cours de gestion familiale. On peut l'éloigner de la maison pendant six mois par exemple, en lui disant que, si vous vous comportez calmement et discutez gentiment, vous pourrez recommencerez à revoir vos enfants ; peut-être ensuite vous pourrez avoir l’autorisation de manger ensemble, et peut-être ensuite rentrer à la maison.
La vision de la médecine est une vision de traitement et de prévention. La vision de la justice est identique, mais à l’échelle sociale. La sanction devrait être perçue comme un traitement et non comme une forme de vengeance. Le magistrat et le médecin font presque le même travail : l’un soigne le corps physique, l’autre soigne le corps social. Il faut une collaboration entre les deux. On sait que l’OMS, dans sa constitution de 1948, annonce que la santé n’est pas simplement une absence de maladie, mais un état de bien être complet : biologique, psychologique et social. Nous devons donc agir simultanément sur tous ces facteurs.

Attitude du corps médical

Question de Mme ADAMS :
Il m’a été demandé à moi, personnellement, de défendre les femmes qui arrivent au centre pour des problèmes de harcèlement psychologique. Donc j’appelle souvent les médecins personnellement pour leur dire « Trouvez moi un vocabulaire par rapport à cette dame puisque là vous avez devant vous une femme que je vous envoie ». Malheureusement, le corps médical n’est pas encore adapté à cette attitude là. Certains médecins qui me connaissent savent que je ne mens pas, que je ne raconte pas n’importe quoi, de par ma réputation de battante et de militante pour les femmes. Donc je leur ai suggéré, je ne sais pas si, juridiquement c’est apprécié, le terme de « syndrome » qui mène à l’état dépressif et vous mettez une ITT de pas moins de 8 jours. Les médecins me suivent à la lettre et, en conséquence, j’ai reçu par fax une attestation d’hébergement comme quoi la femme est bien présente dans mon établissement Voilà comment je me débrouille et, pour le moment, je n’ai pas de problème et les gendarmes prennent mes plaintes.
Mais, malheureusement, au niveau du tribunal, les hommes sont condamnés à peine à trois mois de prison. Parce que le harcèlement psychologique a un rapport avec le viol, parce la femme est régulièrement violée. Quand il va à un endroit, chez son patron, dans une entreprise, il est agressé par le patron. Il revient à la maison, il se venge sur sa femme, il viole sa femme ou sa concubine et devant les enfants. Voilà les conséquences du harcèlement psychologique de la femme et souvent, les hommes qui ont des maîtresses aussi à l’extérieur et que la maîtresse l’envoie ch…, il revient à la maison et il viole sa femme. Je lui conseille alors d’aller voir le médecin, de lui dire qu’elle est harcelée psychologiquement puisque elle est sa femme et que le viol n’est pas reconnu.
Même pour les femmes qui ont porté plainte pour viol, leur mari a été condamné à trois mois seulement parce que, justement, le viol n’est pas encore bien compris au tribunal.

Farhan YAZDANI :
Cela prouve que les différents secteurs n’ont pas encore appris à travailler en collaboration ou en réseau. Vous devriez pouvoir envoyer la victime vers le médecin, qui la renvoie vers vous ou vers le psychiatre, ou encore vers l’assistante sociale, qui la dirige vers le tribunal ou vers l’avocat etc.. Ces réseaux sont à construire et on peut dire que en dix ans le travail, ce qui a été fait est déjà remarquable. C’est très encourageant et il faudrait que nous continuions dans cette voie. Mais je pense que ce travail d'équipe multi-disciplinaire ou inter-disciplinaire demande aussi une formation. Dans les enquêtes, on remarque que 60 % des médecins estiment ne pas avoir eu de formation suffisante pour s'occuper de ces problèmes. Pourquoi ? C’est parce que le médecin qui, en 20 minute ou en une demi heure fait une consultation, peut avoir besoin de passer 2 ou 3 heures pour écouter une victime, ce qui le conduit à délaisser ses autres patients. Quand on a écouté une victime pendant 1 heure, on se sent vidé. Le médecin a besoin de savoir où il peut orienter la victime. Je remercie votre association. Je donne aux victimes votre livret, je donne des adresses ; c’est une façon de faire circuler ces problèmes pour que tous les acteurs puissent jouer leur rôle. Et je pense que peut-être, après ce que vous venez de dire ici, il faudrait s'adresser à l’ordre des médecins, car l’ordre des médecins est aussi responsable de la compétence et de la formation des médecins. Et nous pouvons, et nous devons, sur le territoire, organiser des réunions médicales pour faire prendre conscience de ces problèmes.

La honte de porter plainte

Mme Véronique AMO :
Vous parliez tout à l’heure d’éviction du conjoint violent du domicile conjugal. Connaissant les spécificités de la Polynésie Française, et sachant très bien que le domicile conjugal n’est pas réellement à une personne, mais appartient à deux personnes, je vous pose la question : A qui appartient ce domicile conjugal ? A partir de quel critère peut on dire que le domicile conjugal appartient à l’un ou à l’autre par rapport aux spécificités du Pays ?
D’autre part, je voudrais également faire remarquer qu’ici, en Polynésie, nous avons un autre aspect concernant la plainte. Nous n’avons pas cette idée de vouloir porter plainte, parce que comme on dit ici « Ca fait honte ! ». Quand il va le faire, c’est vraiment qu’il est arrivé à un point extrême. Ce n’est même pas la personne concernée qui fait cet acte là, c’est sur l’appui et l’aide de quelqu’un d’autre.
Quand nous parlons de violences conjugales, nous parlons surtout des femmes. Mais il faut admettre qu’il y a également des hommes qui sont battus. Ca fait peut être partie également de la spécificité du territoire, mais ce n’est pas seulement ici, c’est dans le monde entier. Les hommes sont également battus. Avons-nous quelque chose qui soit en faveur de ces hommes battus et est-ce que c’est déjà mis en place ?
Dernier point : Est-ce que le fait d’avoir porté plainte et de voir l’autre être mis en prison, est une bonne solution ? C’est vrai que c’est une sanction mais que va-t-il se passer après ?
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M. ZIENTARA :
Effectivement c’est une question riche parce qu’il y a plusieurs volets.

Sur le premier point, le domicile dont le conjoint violent va être éloigné, est le domicile conjugal, là où la famille a son établissement. Ce n’est pas une question de propriété. Même si le domicile appartient exclusivement au conjoint violent, c’est le domicile de la famille, le domicile du couple. Donc le conjoint violent , sera éloigné du domicile, même si c’est un bien propre qui lui appartient depuis X générations. L’autre conjoint restera dans ce domicile avec ses enfants. C’est là où il ou elle a son établissement, nonobstant le fait que ça lui appartienne ou que ça ne lui appartienne pas.

Deuxième point sur la honte. Cette honte de porter plainte, elle est largement répandue. C’est vrai également en Métropole. On ne franchit pas facilement les portes d’un palais de justice ou d’un commissariat ou d’une gendarmerie, a fortiori lorsqu’il s’agit de faits qui relèvent, pour les personnes qui portent plainte, de leur vie privée. C’est la raison pour laquelle, toutes ces campagnes d’informations et de sensibilisation sont importantes parce qu’elles vont permettre à ces gens, ces femmes en général, de se libérer en quelque sorte en portant plainte, parce que, malgré tout, si elles portent plainte, le cycle des violences va cesser. C’est en tous cas ce qu’on constate dans ce type d’affaire où il y a des faits qui durent depuis un certain nombre d’années. C’est un peu plus spécifique à la Polynésie parce que, par ailleurs, il y a une justice qui est considérée comme obscure, difficile à appréhender. Cette complexité apparente lié au sentiment de honte rend effectivement la plainte difficile.
Je ne pense pas que le sentiment de honte soit plus spécifique à la Polynésie. En Métropole, 13 % seulement des femmes portent plainte, donc 87 % des femmes ne portent pas plainte parce qu’existe également sans doute ce sentiment de honte. C’est le travail des associations de faire en sorte qu’on arrive à libérer la parole de ces femmes.
Une des raisons pour laquelle on ne porte pas plainte est la confusion entre la peine prononcée et la peine encourue - 5 ans d’emprisonnement ou trois ans selon l’importance de l’ITT. Mais ce sont les peines encourues, ce sont les peines théoriques. Il ne faut pas trop le dire mais la peine théorique est rarement prononcée . Ca fait toutefois partie aussi de la prévention. Il est important de rappeler que la peine encourue est de 5 ans ou de 3 ans, ou pour les cas extrêmement graves, 20ans, voire à perpétuité pour les meurtres entre époux, mais, d’abord, ce sont des peines encourues. Mais s’agissant des sanctions effectivement prononcées par les tribunaux, il faut savoir que, d’une part, il y a des peines alternatives, c'est-à-dire la médiation, le rappel à la loi, l’éloignement, c’est une partie des infractions qui finissent comme cela. Et puis, sur les infractions qui sont jugées par le tribunal correctionnel, la majorité des peines qui sont prononcées sont des peines avec sursis. Le sursis c’est : on n’exécute pas la peine. Sursis simple, pendant un délai de 5 ans, si on ne réitère pas le comportement, on n’exécute pas la peine, mais si par contre, on recommence le même type de faits ou d’autres faits, le sursis peut être révoqué, doit être révoqué. La peine d’emprisonnement ferme est prononcée de manière assez rare, lorsque les faits sont extrêmement graves. La peine dont je vous parlais tout à l’heure de 3 ans d’emprisonnement qui a été prononcée, il y a 3 semaines, au tribunal pour des faits de violences conjugales, sanctionnait un agresseur qui était multi réitérant. Il avait déjà été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis et à une peine d’emprisonnement ferme, et recommençait une troisième fois des faits strictement similaires. Donc il y a une gradation, le tribunal dans sa grande sagesse, en général sait faire la part des choses et prononce des peines avec sursis. Il peut aussi prononcer des peines d’amendes, d’ailleurs. S’il faut informer en disant « attention, c’est grave et la peine est de 3 ans encourus ou 5 ans », dans la réalité judiciaire , ce ne sont pas ces peines là qui sont prononcées de manière systématique devant le tribunal correctionnel. Les juges prennent en considération la situation , le déroulement des faits , les regrets de la personne, la prise de conscience de la gravité des faits, la situation familiale, que sais-je ? En général, la peine prononcée, d’ailleurs requise par le Parquet, l’ est avec sursis. Si toutefois les faits sont gravissimes, il est évidemment difficile de requérir des peines très symboliques

Sur les hommes battus par contre, c’est relativement rare, moi j’en ai vu très peu, en tous cas d’hommes battus en correctionnelle. J’ai vu des cas d’hommes, c’est dramatique en ce sens qu’ils sont décédés, mais ce sont des hommes qui, auparavant, battaient leur femme, et leur femme a donné un coup de couteau pour se défendre. Mais la législation est la même que l’agresseur soit homme ou femme, mais peut être avec la difficulté supplémentaire pour les hommes, de porter plainte lorsqu’on est un homme battu avec tout ce que ça entraîne par rapport à cette fameuse honte.
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Farhan YAZDANI : Cette histoire de honte est, je pense, très importante, mais il n’y a pas que le problème de la honte. J’ai vu une patiente qui m’a raconté une histoire déchirante où le médecin qu'elle avait vu l'avait encouragé à porter plainte ; elle l’a donc fait et, du coup, toute sa famille s’est tournée contre elle. Elle a été virée de la maison, plus personne ne l’invite pour les fêtes. Elle m’a dit : « Voilà, le popa’a m’a dit de porter plainte parce que c’est dans l’intérêt des femmes, et moi, maintenant, je suis fichue, je suis grillée sur le territoire ». Donc je pense qu’il y a d’abord ce problème de la plainte qui est perçue comme une espèce de trahison, on est face à un système de silence mafieux. « Comme on est tous solidaires, si tu parles, tu as trahi notre groupe ». Et je pense que c’est très important dans la gestion de la violence familiale que la victime puisse dire : « Moi je demande que mon foyer fonctionne, je ne demande pas que l’autre soit puni, je demande à ce que ce problème soit résolu, que cette maladie conjugale que nous appelons depuis un certain temps, la "conjugopathie" (car on peut considérer la violence conjugale comme une maladie), soit soignée; j'agis par amour, pour que cette maladie de notre couple et de notre foyer soit guérie ». Et à ce moment là on s’approche beaucoup plus à une forme de justice qui se développe. Il y a nombreux partisans d'une justice qui est une justice réparatrice, que les anglo-saxons appellent « restorative justice », la justice qui cherche concilier, à réparer, à restaurer une situation de paix, plutôt qu’une justice uniquement répressive, une justice dissuasive qui fait peur. On s’est rendu compte, par exemple, que chez les indiens navajos d’Arizona, lorsqu’il y avait des conflits, ils se mettait ensemble, ils fumait le calumet de la paix, ils faisait un "pow wow" et ils se disait : « Voilà, tu lui as fait cela, comment peux tu réparer ?» alors le coupable dit « Voilà, je lui donne mon cheval ou je lui donne 3 chèvres ou je vais faire le ménage chez toi ou je lui donne mon wigwam, etc. … Est-ce que il est satisfait ? » . Si tout le monde est content, on se serre la main et on s’en va. Tandis que, quand le garçon violent passe trois mois en prison, en sortant, on ne peut pas toujours lui demander d’aimer la femme qui l'a dénoncé. Parfois c’est fichu. Quand on parle de la médiation et de la conciliation, on envisage des nouvelles voies de justice qui ne passent pas nécessairement par la répression. La répression est là pour les cas graves, mais, en avant que l'événement grave n'arrive, il faut trouver ces solutions plus "soft" qui permettront d'éviter les cas graves. Je pense que ce regard extérieur, que ce soit du médecin, du gendarme, de l’assistante sociale, est un regard déjà régulateur, réparateur. C’est un point de référence extérieur. L’idée même de croire : « Chez moi ça m’appartient, je fais ce que je veux », est une idée de toute-puissance qui doit disparaître. Nous ne sommes pas totalement libres. Ma maison m’appartient, mais je ne peux pas y organiser un trafic d’armes, je ne peux pas y mettre le feu, etc. … ça m’appartient pourtant, mais la société dont dépend ma survie a un droit de regard. Mon corps m’appartient, mais je n’ai pas le droit de vendre mon rein. La société a décidé que corps humain n’était pas disponible à la vente. Il y a des cas où la justice peut intervenir avant qu’il y ait des plaintes. Si vous vous engager dans une relation sadomasochiste, et vous vous faites torturer, en accord entre-vous, la justice peut intervenir, même si vous avez demandé l'acte de torture : « Ah, oui, c'est moi qui lui ai demandé de me découper au couteau », mais cela ne suffit pas pour excuser l'acte. C’est une infraction pénale, contre les lois de la société qui dit : "Nous ne voulons pas de ça chez nous. Nous ne l’acceptons pas." C’est le regard extérieur de la société qui pose les limites, qui régule ce qui est du domaine privé et ceci est vrai pour la vie familiale.

Evolution de la société

Question : Je vais m’adresser à vous M. YAZDANI un peu en écho à ce vous disiez tout à l’heure avant de partir. Vous dites qu’il y a un gros impact pour que les familles retrouvent une sérénité pour l’avancée sociale du pays, mais je pense que ce n’est pas que pour la Polynésie, c’est sûrement vrai ailleurs. Vous dites que la société évolue de la façon suivante : il faut que la société s’adapte à la femme qui travaille, lui permette d’exercer une profession mais aussi d’être mère. Vous avez dit tout à l’heure, l’homme a du mal à s’adapter à cette nouvelle situation. Pourquoi l’homme a-t-il tant de mal à s’adapter à ce nouveau type de société ?
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M. YAZDANI : Parce que depuis le début de l’histoire humaine, cela n’a jamais été comme cela. L'ère de la brutalité et de la force physique est dépassé; on est dans l'ère de la finesse, de l'intelligence et de la sensibilité, domaine où les femmes excellent. C’est une nouveauté qui nous arrive. Ce changement est inquiétant pour certains, car il faut s'adapter. C'est peut-être la promesse des Saintes Ecritures qui est en train de se réaliser. La Bible commence avec la Genèse : « Tu enfanteras dans la douleur ». Mais lisons dans la révélation de Saint Jean parler de la nouvelle Cité de Jérusalem (Le mot "Jérusalem" veut dire la Cité de la Paix, et non le Jérusalem qui est en train de se déchirer) et Jean annonce « Il n’y aura plus de peine ni de douleur et Dieu vivra parmi les hommes, et Il essuiera les larmes de leurs yeux» (Apocalypse 21:1-4). On aime s’attacher à dire que la femme doit enfanter dans la douleur, mais on oublie de dire que Saint Jean annonce qu’un jour il n’y aura plus de douleur. Alors, travaillons vers cette promesse, plutôt que de nous fixer sur ce qui était établi il y a deux mille ans. Avançons dans ce sens là. Je pense que nous sommes en train d’avancer. Quand on voit que dans la loi anglaise, jusqu'à en 1970 on avait encore gardé un texte de loi qui disait que l’homme avait le droit de battre sa femme mais à condition que le bâton ne dépasse pas un pouce, (rires)… et pourtant c’est une grande démocratie, un pays parmi les inventeurs de la démocratie, les Anglais, cote à cote avec les Français. Et pourtant cela persistait encore récemment dans le Code des lois. On commence à supprimer ces choses. Il faut évoluer et s'adapter. Il faut réinventer la nouvelle famille. J’ai un ami proche dont l'épouse était infirmière. Quand il a fait ses études d’ingénieur, elle travaillait. Ensuite elle a eu trois enfants dont il s'est occupé. Puis il a commencé a travailler comme ingénieur et elle est restée à la maison pour garder les enfants. Et ensuite il a voulu faire un troisième cycle, un doctorat. Elle est retournée au travail et lui, il s’est occupé des enfants en faisant ses recherches à la maison. Puis elle s'est arrêté de travailler pour rester au foyer, et lui, il enseignait Nous pouvons faire des familles à géométrie agréable, (rires), … oui, agréable et variable. Pourquoi se figer sur l'idée que "si je reste à la maison pour m’occuper de mon enfant, je suis un nul, je suis une femmelette", etc. ? Pourquoi veut-on fixer absolument un rôle imposé de l’extérieur ? Si nous avons envie, si nos familles ont envie, de s’organiser de cette autre façon, faisons le intelligemment. Pourquoi se sentir prisonniers d’un certain schéma figé de rôles pour les femmes et pour les hommes ? Ce schéma est dépassé, mais on peut récupérer dans les traditions ce qui est bon. Je ne dis pas qu’il faille tout jeter, mais il ne faut pas garder les traditions qui sont dépassées. Il ne faut pas jeter l’enfant avec l’eau du bain, mais il ne faut pas garder l’eau du bain sale. On jette l’eau sale du bain, et on remet de l’eau propre. (Rires et applaudissements).

Application de la loi du Loi du 4 avril 2006 en Polynésie française

Question : En ce qui concerne la loi du 4 avril, est-ce qu’elle s’applique de plein droit ou est-ce qu’elle aurait besoin de passer au crible de nos représentants de la Polynésie française pour être entièrement appliquée en Polynésie, pour qu’il y ait une conscientisation de notre population ?

Réponse : Franck Zientara : La loi qui a une mention expresse d’application s’applique sur le Territoire de la PF. Vous savez que, depuis le nouveau statut, la loi s’applique dans les 10 jours qui suivent sa parution dans le Journal Officiel de la République Française. Donc pas de difficulté sur ce point là.
Le harcèlement moral ne s’applique pas, c’est la loi de janvier 2002. Elle sanctionne le fait, par son comportement, de faire en sorte que les conditions de travail de la victime soient détériorées. C’est lié donc au travail. Par contre, ce dont on parlait tout à l’heure, c’est des violences qui entraîneraient des problèmes psychologiques graves. Ici, il y a un problème de preuve. Il faut donc un certificat médical attestant ces violences démontrées qu’elles viennent de la part du mari qui a, par une attitude qu’il faudra démontrer, entraîné cela. C’est toute la difficulté de la preuve.
A ce jour, je ne vois pas spécialement de difficulté d’application de la loi du 4 avril. Simplement, sur les anciens conjoints et concubins, il faudra démontrer que les violences sont liées à la relation ayant existé auparavant, donc ça sera peut être une difficulté. J’en vois peut être aussi sur l’éloignement du conjoint violent dont on parlait tout à l’heure : est-ce qu’on aura suffisamment de lieux pour mettre ces personnes ? Il y a des familles étendues, des familles élargies qui peuvent recevoir le conjoint violent. L’expérience démontrera si, oui ou non, il faut créer un certain nombre de centres pour les accueillir. A mon sens, il est un peu trop tôt pour avoir un plan déterminé, un nombre de places, et que sais-je, avec la difficulté des îles. Il est clair qu’on ne va pas créer des centres pour conjoints violents sur toutes les îles. Cela me semble un peu illusoire de le croire. Donc sur ce point effectivement ça peut entraîner des difficultés.

Autrement, la loi s’applique totalement, sinon je ne vois pas de difficultés particulières liées à la PF ; qui ferait que cette loi aurait des difficultés d’application.

Accueil des victimes

Question :
Nous avons une femme qui arrive chez vous, victime de violences conjugales, qui s’est réfugiée dans un centre d’accueil pour femmes battues parce que c’est le seul moyen qu’elle a trouvé pour s’éloigner de son mari violent. Lorsqu’il est avéré qu’elle a subi des violences physiques, mais qui ne sont que la conséquence de toute une démarche de violences verbales, psychologiques, comme le disait Sandra, l’encourager à porter plainte, cela suppose que, nous-mêmes, nous ayons une procédure qui soit claire. Et, souvent, le problème avec la justice, c’est qu’on ne sait pas à qui s’adresser et si on doit se retrouver avec d’autres collègues de votre juridiction qui n’auront pas forcément la même vision que vous, ça va décrédibiliser l’action (inaudible…) parce que si elles n’arrivent pas à obtenir satisfaction, c’est à dire l’éloignement du conjoint violent du domicile conjugal qu’elle a dû quitter sous la violence, à ce moment là ça va décourager les femmes à porter plainte. Et nous, qui devons travailler pour la réinsertion de cette femme qui doit se remettre de ce problème, en même temps, on a l’homme dans nos bureaux, parce que c’est aussi le cas. Il faut que, si je lui développe l’arsenal judiciaire qui risque de lui tomber sur la tête s’il persévère dans ce domaine là, il faut que ça soit du réel, du vécu. Parce que, si je lui dis qu’il risque ça et que finalement il s’aperçoit qu’il ne risque rien, on est décrédibilisés. Il y a aussi une notion de rapidité dans les situations où il y a une violence physique et si cette rapidité n’existe pas lorsqu’une femme est obligée de partir de chez elle, à ce moment là, on ferme toutes les portes pour que cette personne puisse vouloir porter plainte et, deuxièmement, ça nous ferme aussi une porte dans notre action, parce qu’il y a un arsenal qu’on ne pourra pas utiliser parce que, quelque part, on ne sait pas comment ça se passe et qui est le référent. Quand quelqu’un demandait si on ne pouvait pas porter plainte ailleurs qu’à la gendarmerie ou dans un commissariat, ce n’est pas l’institution en tant que force de l’ordre qui est (inaudible), c’est le lieu en lui-même qui n’encourage pas les gens à venir là. C’est ça qui pose problème. Je vois par exemple une association comme Te Rama Ora qui traite des violences conjugales, est-ce que au sein de Te Rama Ora l’institution judiciaire ou l’institution officielle ne peut pas mettre à disposition au moins un bureau d’accueil pour que les femmes ne soient pas obligées d’aller dans un commissariat ou dans un poste de gendarmerie pour déposer une plainte. Parce que je crois que s’il y a un Officier de Police Judiciaire qui est disponible à des heures précises avec des modalités qu’on pourra déterminer mais qui pourra recevoir des plaintes à ce niveau là, dans une certaine discrétion sans avoir le risque d’avoir l’agresseur juste à côté, je pense qu’il y aura beaucoup plus de plaintes qui seront déposées parce qu’il y aura un certain accueil qui pourra être fait au niveau de ces femmes là et qui pourront nous aider après dans la suite des événements.

Réponse : Franck ZIENTARA : C’est une vaste question, notamment celle de l’accueil des victimes. Comme je le disais tout à l’heure, au niveau de la gendarmerie et aussi au niveau de la police, on les sensibilise sur cette question. Il y a aussi un problème lié aux moyens. Vous dépeignez une situation idéale où il y aurait un accueil particulier pour ce type de victimes. C’est ce vers quoi il faut tendre, en l’état ce n’est pas effectivement le cas. L’ensemble des policiers et l’ensemble des gendarmes susceptibles de recevoir les plaintes, dans différentes infractions, notamment celles là, ont des formations, il y a des gens qu’on va essayer de sensibiliser sur ces questions, les former. Sur la réponse judiciaire. Elle dépend des directives, des orientations.

Deuxième point, les collègues qui interviennent dans le cadre des permanences pénales ont ces orientations là aussi, donc ils les suivent.

3ème élément : chaque affaire n’est pas identique. à une autre Donc le magistrat, le policier, le gendarme va réagir en fonction des éléments qu’il va avoir et le magistrat du parquet va réagir en fonction des éléments qu’on va lui transmettre. Donc chaque affaire n’est pas identique. Pour un dossier, vous vous attendez à ce qu’il y ait une poursuite, et, en fait, compte tenu des éléments qu’on a dans le dossier et que vous n’avez pas, on va prendre une autre décision. Et vous allez considérer de l’extérieur, effectivement, que ce n’était pas la bonne décision, mais c’est la décision qu’on a prise en fonction d’un ensemble d’éléments.

Autrement sur le référent en violences conjugales au niveau du procureur de la république, c’est moi-même. Je ne fais pas toutes les permanences, je ne suis pas de permanence tout le temps ; les collègues qui sont de permanence agissent en fonction de leurs sentiments propres. Par contre, tous les courriers qui sont adressés sur ces contentieux d’ordre conjugal, viennent sur mon bureau. C’est moi qui les traite. Par contre lorsqu’il y a une plainte, qu’il y a urgence et que c’est dans le cadre d’une permanence, un samedi ou un dimanche, la police ou la gendarmerie en réfère au magistrat de permanence qui prend une décision et la rapidité de la décision, c’est la COPJ dont je vous parlais tout à l’heure. La comparution immédiate entraîne des difficultés parce qu’il faut réunir trois juges, que ce n’est pas toujours évident parce que c’est le week end etc. L’intérêt de la COPJ est qu’on a une convocation à une date d’audience, avec la difficulté que signalait tout à l’heure Madame BIRK qui est le délai, mais là, c’est difficile de compresser parce qu’on a des problèmes de contingence, et on ne peut pas alourdir considérablement les audiences. Mais c’est vrai que vous pouvez avoir parfois le sentiment que des décisions ne sont pas toujours adaptées à ce que vous voyez, mais nous avons des éléments que vous n’avez pas. Vous avez la version de la victime alors que le policier ou le gendarme a la version des deux. Il a fait un compte rendu avec la version des deux.

Réseau de communication

Question : Comment peut-on faire pour prendre en charge à la fois la personne battue et la personne battante ? Et comment peut on faire, là je rejoins aussi William TSING, sur l’élaboration de procédures, de rencontres d’abord entre les différents partenaires ? Est-ce qu’il ne serait pas possible que l’on puisse entamer, à la fin de ce colloque, un travail en étroite collaboration entre différents partenaires pour trouver des liens entre chacun et de faire peut être plus tard quelque chose de synoptique ? Qu’on sache comment envoyer, à qui on doit envoyer et ensuite que ça soit connu par tout le monde puisque, l’autre jour, j’étais au salon de la famille, je suis passée voir les gendarmes, je me suis présentée. On a parlé de la violence et c’était des faits qu’ils ne connaissaient pas ou pas suffisamment. Donc je pense qu’il est important que chacun des partenaires qui prennent en charge cette violence puissent se connaître et savoir quel est le rôle de chacun. Je crois qu’il est important aussi, qu’on puisse aller au-delà et qu’on puisse aller vers le plus rapide.
Farhan YAZDANI. Je vous remercie d’amener ce sujet. C'est une évidence pour tous ceux qui sont sur le terrain. Vous exprimez la réalité des choses. Nous pouvons féliciter et remercier ceux qui ont organisé cette réunion. Elle a demandé un travail considérable, nous le savons, car ce n’est pas tous les jours que nous mettons ensemble des médecins, des juristes, des magistrats, des hommes d’église et les associations. C’est un travail qu’il faut renouveler. Je pense qu’il faut saluer ce qui a été fait et continuer en échangeant nos adresses, peut être pour se réunir à un rythme un peu plus régulier. Je ne sais pas si ça vaut le coup d’ajouter une nouvelle association, il y a Vahine Orama, il y a l’association des juristes; ces associations peuvent collaborer entre elles. Il y a un énorme travail d’information à entreprendre dans les écoles. Il faut quelque part casser l'image de celui qui dit : « Moi je suis le plus fort parce que je tabasse les autres et tout le monde me craint ». Il faut que quelque part nous prenions conscience que ce n’est pas l’agresseur qui est le plus fort. Je pense que le message essentiel du christianisme est là : c’est la victime, clouée sur la croix qui est le grand gagnant. Les agresseurs n’ont gagné que de la honte. C'est celui qui rend service, celui qui construit la paix qui est le plus fort. Et je pense que quelque part, il faut que les hommes comprennent que la brutalité et la violence sont dépassées, démodées ; elles n'ont rien dont on peut être fier. La violence, est un échec, l’échec du dialogue; c'est lorsque nous ne parvenons pas a faire valoir notre point de vue, quand nous ne pouvons plus nous exprimer, que l'on recourt à la violence pour essayer de surmonter. Je pense que ce sont des messages qu’il faut transmettre dans les écoles dès le départ. Je pense qu'ici les églises ont certainement un rôle important à jouer en Polynésie française. Et je pense que suite à de telles réunions, nous devons garder le contact pour poursuivre ce travail multi-disciplinaire. Il faut faire en sorte que l’ordre des médecins devienne partie prenante dans ces actions, et que l’ensemble des acteurs prenne le relais après cette réunion. Peut être que Vahine Orama ou les autres associations peuvent nous aider à créer ce réseau de communication nécessaire pour conjuguer nos forces.