Colloque droit de la famille organisé en 2006 par l'Association de Juristes en Polynésie française

Viol entre époux

Question posée par Mme Tina CROSS.
Ma question va porter plus précisément sur la consécration du viol conjugal au regard de l’article 222-22 où il est bien dit que les rapports sexuels entre époux sont présumés consentants et que malgré tout l’époux pouvait déposer plainte pour viol. Je voulais vous poser la question en tant que praticien des demandes que vous recevez au Parquet de Papeete : Sur quel genre de preuve vous vous appuyez pour saisir l’opportunité de poursuivre l’époux qui aurait imposé des rapports sexuels à son conjoint marié parce que c’est vrai que c’est tout nouveau et, en plus, ici en Polynésie, cela a choqué les gens ? En tant que ministre de la famille, je voudrais vous poser la question, vous qui recevez des plaintes, en matière de preuve, qu’est ce que c’est… (autre personne couvrant la voix)… ces certificats médicaux avec des blessures violentes ou est-ce que ça rejoint un peu plus des violences d’ordre psychologiques ?

Réponse de Franck ZIENTARA :
Je vais répondre, à tout seigneur tout honneur, à la question de Madame le Ministre sur la question du viol. Effectivement, c’est récent en ce sens que la consécration légale est récente. Mais, comme je le disais tout à l’heure, le viol entre époux a été reconnu par la jurisprudence depuis 1980 et surtout depuis 1992. Depuis 1992 la chambre criminelle de la Cour de Cassation reconnaît l’existence du viol entre époux sans autre blessure ou violences, comme dans les cas précédents dont je vous parlais. Effectivement, il y a une présomption de consentement entre deux époux unis par les liens du mariage à la relation sexuelle et toute la difficulté de cette infraction c’est justement la preuve de ce qu’il y a eu effectivement viol. Alors comment on fait dans ces cas là ? Tous les modes de preuve qui sont à la disposition du juge et de l’enquêteur même dans des infractions autres que le viol sont utilisables. C’est le cas des prélèvements : le mari dit : « Je n’ai pas eu de relations ce jour là » et les prélèvements démontrent le contraire. Ca peut être aussi des témoignages qui sont liés à la famille, ça peut aussi être un examen médical où on verra que la victime est dépendante psychologiquement et subit des conséquences psychologiques graves. Pour ne rien vous cacher, ces faits de viol entre époux, en tout cas les plaintes, sont extrêmement rares. J’ai en mémoire un dossier qui est en cours sur ce type de faits . Bien évidemment le conjoint nie les faits et l’entourage familial peut nous éclairer sur le comportement du mari par rapport à sa femme, sur des révélations, sur des confidences qu’elle a pu faire, sur l’audition des enfants qui ont pu assister aux faits ; c’est donc toute la difficulté de ce type d’infraction. Est-ce que ça va déboucher sur des condamnations ? Sans doute, mais ces infractions ne sont pas évidentes à démontrer. Les expertises psychiatriques vont également rentrer en ligne de compte ainsi que d’autres éléments qui vont forger la conviction du juge. C’est vrai, d’une manière générale, pour les autres agressions sexuelles. Ce n’est pas évident lorsque c’est à huis clos, lorsqu’il y a une agression sexuelle entre un homme et une autre personne, fusse-t-elle un tiers par rapport à lui et non pas sa femme, c’est aussi délicat de démontrer la réalité de cette infraction. Avec ce point particulier que les gens vivent ensemble et que les relations sexuelles sont présumées consenties. Ca se passe dans un lieu clos et vous avez la parole de l’un contre la parole de l’autre, c’est aussi difficile que pour les cas de viol conjugal. Donc il va falloir effectivement l’audition, les confrontations, des examens médicaux, des déclarations de psychiatre, etc …